This story by Kahofi Jischvi Suy, which BBC News originally published in French on 6 November 2019, is part of a series produced with support from the Arcus Foundation and Heinrich Böll Stiftung Southern Africa. It emerged from an October 2019 journalism training workshop in Cape Town, South Africa. An English translation of the story is available here.
Joël – dont le surnom a été retenu pour protéger son identité – marche vers le portail d’une résidence dans le quartier de Biétry dans le sud d’Abidjan, la capitale économique de la Côte d’Ivoire.
Derrière ce portail tout à fait banal comme celui de toute autre résidence dans ce quartier, se trouve la Clinique de confiance (CdC) gérée par l’ONG Espace de confiance.
Il s’agit d’un centre de santé spécialisé qui travaille à réduire la propagation du VIH et d’autres infections sexuellement transmissibles parmi les populations clés.
L’ONUSIDA définit les populations clés comme étant les plus vulnérables au VIH et les moins aptes à accéder à des services de santé adéquats.
Les populations clés comprennent les professionnel(le)s du sexe, les consommateurs de drogues injectables, les transgenres, les prisonniers et les hommes comme Joël qui ont des rapports sexuels avec d’autres hommes.
“J’ai entendu parler de la clinique par l’intermédiaire d’un ami branché”, indique Joël.
“Branché”, dans ce contexte et dans l’argot LGBTQI+ ivoirien signifie “gay”.
“Mon ami m’a encouragé à me rendre à la clinique pour un bilan de santé et un test de dépistage du VIH. Je me suis préparé à accepter le résultat final. Si le test était négatif, tant mieux super, mais s’il était positif, je savais que je devrais l’accepter aussi”, déclare-t-il.
Joël a finalement appris qu’il était séropositif et il vient maintenant à la Clinique de confiance pour des examens mensuels gratuits, un soutien psychologique et des médicaments, y compris un traitement antirétroviral.
Ces dernières années, la Clinique de confiance est devenue un espace social où les personnes LGBTQI+ se sentent libres et en sécurité pour discuter de questions de santé avec les médecins, les travailleurs sociaux et même entre eux.
Des préjugés qui persistent
Etre homosexuel – au sens de l’orientation sexuelle – n’est pas illégale en Côte d’Ivoire, mais l’homosexualité est largement considérée comme taboue.
Ce qui implique que les personnes LGBTQI+ doivent à la limite cacher leur orientation sexuelle pour recevoir des soins de santé adéquats dans la plupart des cliniques et hôpitaux.
“Les membres de la communauté LGBTQI+ se font soigner dans tous les hôpitaux sauf que le personnel médical ignore tout de leur orientation sexuelle” nous explique Dr Anoma Camille directeur de la Clinique de confiance.
“Certains professionnels de santé ont encore une forme de réticence vis-à-vis des homosexuels dans leur prise en charge” nous explique Dr Aka Emmanuel, médecin généraliste à la Clinique de Confiance.
“Cela peut être dû au manque d’information qu’ils ont sur les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes (HSH) et les femmes qui ont des rapports sexuels avec des femmes (FSF), ou peut-être parce que l’orientation sexuelle reste un sujet tabou. En réalité, les homosexuels sont des patients comme les autres”.
La clinique a établi une relation de confiance entre le personnel de santé et les personnes LGBTQI+ en travaillant avec des populations clés et des ONG LGBTQI+ depuis plus de 10 ans.
La Clinique de confiance était à l’origine un projet de recherche qui a été lancé en octobre 1992 dans le cadre du programme RETRO-CI (Retrovirus Côte d’Ivoire).
En 2004, le personnel de la clinique décide de créer une organisation socio-sanitaire appelée Espace Confiance (ONG).
En 2005, cette ONG reçoit officiellement la responsabilité de gérer pleinement la Clinique de confiance en tant que centre de santé et de recherche avec le soutien d’organisations internationales comme l’ONUSIDA, le PEPFAR, et SIDACTION (France). Cinq autres centres qui offrent des services de prévention et de sensibilisation aux populations clés sont sous la gestion de cette ONG.
La question du VIH est aussi prise en considération avec une attention particulière car les populations clé sont particulièrement exposées.
“En Côte d’Ivoire, la prévalence du VIH est de 11 % chez les travailleurs du sexe, de 13 % chez les hommes qui ont des rapports sexuels avec des hommes et de 9,2 % chez les personnes qui s’injectent des drogues” précise Pélagie Kouamé, Président du réseau des populations clés en Côte d’Ivoire cité dans le rapport 2018 d’ONUSIDA.
Compte tenu de ces taux plus élevés, la Clinique de confiance travaille à réduire la transmission du VIH parmi la communauté LGBTQI+ d’Abidjan.
Elle accorde une attention particulière aux personnes séropositives qui ont des difficultés pour accepter leur statut sérologique.
“Nous aidons ces personnes à reconnaître que le VIH n’est pas une condamnation à mort, à comprendre qu’il s’agit d’une maladie chronique pour laquelle un traitement gratuit existe”, rassure Dr Kotchi Rachelle.
Elle précise que la plupart des HSH ou des FSF acceptent assez bien leur séropositivité, ce qui facilite leur traitement et réduit le risque de nouvelles infections au VIH ou d’autres IST.
En concernant la lutte contre le VIH, la Clinique de confiance assure le monitoring d’un programme de santé dédié aux HSH qui sont sous PrEP (prophylaxie pré-exposition) en Afrique de l’Ouest.
La PrEP est un traitement préventif pour les populations séronégatives à haut risque de contracter le virus. Utilisée correctement, la PrEP peut réduire le risque de contracter le VIH de 99 %.
“La PrEP est une révolution dans le traitement du virus et un espoir de mettre fin aux contaminations, en particulier chez les HSH”, souligne Dr Anoma Camille, directeur de la Clinique de confiance.
L’action de la clinique ne se limite pas seulement aux soins de santé et à la sensibilisation au sein d’un bâtiment.
Au-delà des murs de la clinique, des éducateurs mènent des activités de sensibilisation sur le terrain.
Tom – dont le surnom a été retenu pour protéger son identité – est l’un de ces éducateurs de pairs qui se rendent dans les espaces gay-friendly d’Abidjan pour sensibiliser les membres de la communauté HSH et FSF sur la question du VIH.
Dans la chaleur de la nuit
Nous sommes samedi et il est bientôt minuit dans le quartier de Marcory à Abidjan.
La fête bat son plein dans un bar branché.
Plusieurs membres de la communauté LGBTQI+ arrivent, habillés en vêtements chics.
Tom est bien connu ici en tant qu’éducateur de pairs.
Il fait la promotion de l’utilisation du préservatif, des gels lubrifiants et du test volontaire du VIH.
Il éduque surtout les membres de la communauté LGBTQI+ sur les comportements à risque et les oriente vers la clinique pour toutes prises en charge.
“Dans le passé, les personnes LGBTQI+ étaient harcelées et agressées. Cela rendait nos campagnes de sensibilisation assez difficile. Mais aujourd’hui, les mentalités ont changé dans plusieurs quartiers d’Abidjan, même si la stigmatisation persiste”, indique Tom.
La Clinique de confiance sensibilise également les professionnels de santé sur les besoins des populations clés, des HSH et des FSF, contribuant ainsi à la création de centres de santé gay-friendly.
“Ce sera un travail de longue haleine car les questions d’orientation sexuelle ne sont pas encore pleinement acceptée” indique Joël, le jeune homme que nous avons rencontré à la Clinique de Confiance.
“Dans ma famille, le fait d’être homosexuel est perçu négativement et les choses n’ont pas vraiment évolué positivement” témoigne Joël.
L’hétérosexisme, croyance ou hypothèse selon laquelle être hétérosexuel est l’orientation sexuelle par défaut d’une personne, et les croyances religieuses conservatrices sont souvent à l’origine de la stigmatisation des personnes LGBTQI+ en Côte d’Ivoire.
Pour lutter contre cette stigmatisation, Dr Anoma Camille indique que la sensibilisation doit se faire à tous les niveaux, y compris dans les facultés de médecines, auprès des médecins en activité et les autres professionnels de santé.
La Clinique de Confiance continue d’offrir des soins médicaux aux populations clés et de sensibiliser les communautés et les professionnels de la santé à la nécessité de les soigner sans préjugés liés à leur orientation sexuelle.
Pour Dr Aka Emmanuel, le travail de la clinique ne peut pas continuer d’être une exception ou quelque chose de spécial.
Fournir des soins de santé aux populations LGBTQI+ doit être quelque chose de normal dans chaque hôpital, clinique et centre de santé en Côte d’Ivoire.